EROTISME, DES MOTS POUR LE DIRE
Date 18.05.2001
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REPORTAGE Des ateliers d'écriture proposent à chacun de découvrir ce qu'il a dans le ventre.
« Le bruit de la pluie Donne des frissons de dos Sourire de la peau».
Penchée sur sa feuille, attentive à elle-même, Sandra lit. Elle livre ce haïku que lui a inspiré l'orage de la veille. Comme les autres participants à l'atelier d'expression érotique Orchydia, Sandra est venue ce soir avec l'envie de donner. Laure apporte le sillage d'un parfum qui évoque pour elle un souvenir particulièrement sensuel «porté une fois, une rencontre unique qui m'a aidée toute ma vie» et Le Boléro de Ravel. On s'offre des textes, des récits, des souvenirs. Une odeur aussi pour Marc, celle d'une huile de massage citronnée. Un caraco de coton blanc pour Hélène. On est venu ici pour écrire des haïkus, ces brefs poèmes japonais de trois lignes (5,7 et 5 syllabes), sur le thème de l’érotisme. Mais, rien ne presse. On s’apprivoise. Ce n’est pas ici que l’on va bâcler les préliminaires. Anne grimpe sur la mezzanine de sa librairie «Corps et âme» où la rencontre a lieu et Ravel commence son prélude. Le ton est donné. Beaucoup de pudeur, de sincérité, de chaleur. Et du courage aussi pour aller chercher l’émotion en soi et accepter de la partager.
La gêne se dissipe
«C'est très intimidant pour moi d'être là ce soir, confie à tous Hélène, conteuse professionnelle, qui enseigne l'éducation sexuelle aux enfants. Plus j’avance dans ma vie de femme, dans ma sexualité, plus je suis intimidée. J’étais paradoxalement beaucoup plus libérée il y a dix ou quinze ans. Ma timidité vient de mon émerveillement grandissant pour le corps féminin et le corps masculin, pour les émotions ressenties et suscitées. »
L’atelier a commencé par un verre et quelques grignotages; on fait brièvement connaissance. Derrière la vitrine encore éclairée à 19 h 30, les curieux se demandent peut-être ce que font ou envisagent de faire ensemble, dans cette librairie érotique de la rue des Bains, sept femmes et trois hommes. Ils en seront pour leurs frais.
Les photos sur les murs sont belles, tout simplement. La gêne se dissipe. On s’assied dans la pièce de derrière, formant un cercle. La pudeur s’approche avec décence, en commençant par le concret : «Je suis mariée, j'ai trois enfants. Je travaille à mi-temps dans une entreprise de transport. Je fais énormément de sport – marathon, triathlon, vélo. J’aime aussi écrire, surtout des contes érotiques, et c’est la raison de ma présence ici », énumère Laure à la beauté lumineuse.
Bizarrement tout le monde est beau, ce soir. Même les mots les plus crus. Le voyeur attendrait en vain du grivois, du salace, du vulgaire. « L’érotisme, rappelle Orchydia, l’organisatrice de cet atelier, c’est une formidable énergie vitale, sexuelle et créatrice. Libérer cette force est une source extraordinaire de bonheur. » Orchydia en est à son cinquième atelier ; elle alterne écriture, peinture et sculpture pour les moyens d’expression, mais la recherche de l’intime, de la confiance en soi et du plaisir partagé reste inchangée. Les participants sont chaque fois plus nombreux.
Cultiver le désir
« Je viens là pour explorer mon désir, raconte Marc, pour le cultiver. J’ai été éduqué à seulement le consommer. Je veux être comme un jardinier, qui ne tire pas brutalement sur une graine pour faire pousser la plante… » Sensible à l’esthétique, il apprécie la beauté du lieu, celle des images et des sculptures, la présence des livres. Le désir, c’est comment ? Laure :
« ça se passe dans le ventre, comme un carrousel. La faim, la faim de l’autre. » Sandra : « Très basique. Le sexe. » Claire : « C’est d’abord situé dansla tête : ça fait gling gling ! » Maurice, mystérieux, s’active. Il se dit mal à l’aise avec les mots, et a choisit d’offrir des saveurs en partage. Renouant avec les habitudes orientales de ses origines, il a délassé ses chaussures et glisse en chaussettes sur le tapis. Il dépose dans la paume ouverte de chacun un carré de friandise et tend à l’autre main un petit gobelet rempli d’un liquide ambré. « Fermez les yeux. Mangez le gâteau, puis buvez. » Enigme. Difficile de faire taire sa tête – mais quel est donc ce goût ? – pour laisser parler ses sens. On commente l’expérience. Certains ont eu peur de s’enliser dans la douceur de la pâte de soja à la saveur d’amande ; d’autres ont raffolé du sirop de gingembre au miel ; d’autres encore ont, comme Maurice, trouvé l’alliage subtilement érotique.
* Les prénoms ont été changés.
« Poème de caresses… » La soirée est déjà bien avancée. Les participants à l’atelier d’expression érotique sont prêts à se lancer dans un exercice périlleux : rédiger, en vingt minutes, trois haïkus sur le thème : désir, sève et orgasme. Puis, timidement, chacun lit à tous ce qu’il a écrit. Jean cale : il a préféré délaisser la contrainte du modèle japonais et a écrit un texte en prose poétique. De son côté, Claire, artiste-peintre, confesse : « En fait de désir, je n’ai rencontré que l’absence de désir. » On lui doit le plus bel éclat de rire général de la soirée :
« D’ici la vue est magnifique Dans ses bras je retrouve mes 20 ans Quel ennui ! »
Laure : « Coulisse et glisse S’enfièvre par ivresse Bouillonne sans limite. »
Hélène : « La sève en moi coule Suc délicieux qui m’émeut Je jaillis des dieux. »
Marc : « Sur son chaud corps souple Mains et langue se succèdent Poème de caresses. »
Sandra : « Découvrir son corps Savoir comment le dire Sans le répéter. »
Orchydia : « Feu sur ton visage Quand nos deux désirs se croisent Mon bas-ventre s’enflamme. » « Nos corps se rapprochent Je te respire et frissonne Embrasse sève humide. »
Aude : « La bouche s’éprend Sur la pulpe s’embrase Approche, elle se fond. » « Le sexe s’éprend L’âme toute entière dedans Un cri. D’où vient-il ? »
Légende photo : Le film «The Pillowbook» de Peter Greenaway. Orchydia, qui organise des ateliers d’expression érotique : « L’érotisme symbolise l’amour, la beauté et l'esthétique des sens, proche de la mystique.»
Tribune de Genève vendredi, PASCALE ZIMMERMANN, 18 mai 2001
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