Orchydia, Ecrivain public prête sa plume
Date 05.05.2007
Ecrivain public, prête moi ta plume. De la lettre d'amour à la biographie, un tour d'horizon de la profession
Alors que jusqu’à dimanche le livre tient Salon à Genève, et qu’y défile une cohorte d’auteurs plus ou moins connus, de nombreux écrivains du canton opèrent dans l’ombre. Ils accomplissent avec bonheur un métier relativement méconnu, celui d’écrivain public. Cette profession est probablement l’une des plus vieilles du monde. Les scribes de l’Antiquité et les savants médiévaux dépliaient déjà dans les rues leur écritoire pour rédiger les courriers des moins érudits ou des plus fortunés de leurs concitoyens. Molière, Diderot ou Balzac ont évoqué cet art dans leurs ouvrages et tout laisse supposer qu’ils le pratiquaient eux-mêmes. Rêvons un peu, et imaginons que Rousseau aussi prêtait sa plume aux Genevois! Enquête au pays des brodeurs mots.
La profession n’étant pas protégée en Suisse, tout le monde qui le souhaite peut s’improviser écrivain public. Estelle Favre, qui fût durant plusieurs années présidente de l’Académie des Ecrivains Publics de Suisse (AEPS), pratique le métier depuis vingt-trois ans. Selon elle, il faut tout de même posséder trois qualités essentielles: «une maîtrise amoureuse de la langue française, une grande capacité d’écoute et de la discrétion, bien sûr».
Assistance à l’écriture Contrairement à une idée reçue, rares sont les analphabètes qui sollicitent les écrivains publics. Et comme le relève Estelle Favre, «l’immense majorité de la clientèle est de langue maternelle française». Beaucoup manquent simplement de confiance en leur capacité à écrire seuls et ressentent le besoin d’être accompagnés. Et c’est précisément d’assistance à l’écriture que parle Anne-Catherine Pozza quand elle évoque son métier. Cette habitante du Petit-Lancy met ses talents de rédactrice à disposition des autres. Ayant longtemps travaillé dans la publicité, elle s’est tournée vers les méthodes de développement personnel et de coaching. Elle décrit son chemin de vie comme évoluant «autour de l’amour et de l’expression». D’ailleurs durant sept ans, elle a animé un atelier d’expression érotique. Les gens viennent à elle parce qu’ils ont besoin d’aide pour écrire un discours ou un slogan, ou même pour la rédaction d’un livre. Elle raconte que «de temps à autre, il y a aussi des demandes plus intimes, comme des lettres d’amour». Mais ce genre de requête aboutit rarement, dans la mesure où les gens ne sont pas toujours prêts à payer ce service. «Ils s’imaginent que c’est gratuit», sourit-elle.
Même constatation du côté d’Alain Mermoud, qui tient une permanence d’écrivain public et de conseil en jardinage tous les jeudis après-midi aux Enfants Terribles dans le quartier de Plainpalais. Ce journaliste indépendant adorerait rédiger des lettres d’amour ou d’insultes, mais il constate que «si les gens sont prêts à ouvrir leur porte-monnaie pour faire écrire leur courrier administratif, c’est moins le cas pour des démarches plus poétiques». Il s’est donc adjoint les services d’une juriste afin de garantir à sa clientèle une correspondance bureaucratique rigoureuse; il assure pour sa part l’aspect littéraire des choses.
Pour Estelle Favre, il faut bien se garder d’associer la profession d’écrivain public à un service social, bien qu’il existe à Genève plusieurs associations de bénévoles qui proposent leur aide rédactionnelle aux plus démunis. Olivier Masson coordonne treize un groupe de treize «scribes pour l’asile». Ce service offre aux requérants une aide gratuite pour la rédaction de documents administratifs.
Pour celui qui l’exerce, le métier d’écrivain public est extrêmement enrichissant, bien qu’il ne permette pas de gagner correctement sa vie. Et si certains y trouvent le moyen de concrétiser leur amour de la langue française, c’est surtout un métier de relations humaines où se partagent dans une relation de confiance des émotions intimes. «J’ai parfois l’impression d’être dans la peau d’une sage-femme» raconte Béatrice Delapraz. Ethnologue de formation, elle aide les gens à raconter un passage de leur vie. Ces récits biographiques l’ont parfois remuée. Afin que la personnalité de celui qui raconte transparaisse, elle essaie de s’effacer et de «laisser une place totale à l’oralité». Le métier d’écrivain public est avant tout un métier d’humilité, qui œuvre pour ceux qui souffrent de mots.
Irène Languin, Tribune de Genève, jeudi 3 mai 2007. |
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